Au Gabon Pierre-Emerick Aubameyang est Roi. Mais derrière le fils se cache le père, Pierre Aubame, véritable précurseur du foot africain en Europe. Entre blessures mystérieuses, transfert en Colombie et batailles acharnées pour le maintien…
Retour sur les sept moments phares d’une carrière mouvementée
Une histoire de noms
Située à l’extrême nord du Gabon, non loin de la frontière avec le Cameroun et la Guinée équatoriale, Bitam est une petite bourgade ensoleillée de 13 000 habitants, dont les principaux atouts sont la culture intensive de l’hévéa, la frénésie d’un grand marché où transitent toutes sortes de produits locaux et la présence, à chaque coin de rue, de gargotes spécialisées dans la cuisine de la viande de brousse.
C’est ici, le 29 mai 1965 que naît le dénommé Pierre-François Aubame-Eyang.
Un patronyme à rallonge qu’il arborera avec fierté sur le sol africain pendant plusieurs années, avant de devoir le synthétiser au moment où il adopte la nationalité française. Prié de ne garder qu’un seul nom par l’administration, le jeune homme opte pour le patronyme d’Aubameyang. Dans un souci de simplicité, il se fera par la suite connaître sous le nom de Pierre Aubame.
Précurseur en Europe
Arrivé en France dans sa jeunesse, Aubame joue dans des petits clubs avant de passer la seconde à l’âge de 17 ans, à l’USM Malakoff, en banlieue parisienne.
Très vite, son talent à la pointe de l’attaque impressionne son entraîneur Yves Fercoq, qui décide de souffler le nom de la pépite à son ami Michel Le Milinaire, légendaire coach de Laval, alors en première division.
L’essai est réussi, la greffe prend, même si le jeune Gabonais doit longtemps se contenter d’un statut de remplaçant face à une concurrence étoffée, en plus de se voir progressivement replacé plus bas sur le terrain.
Après une année en réserve, il dispute 13 rencontres de championnat en 1985, 14 en 1986, 24 en 1987. Sans être incroyable, sa progression est régulière, et Aubame s’affirme petit à petit comme un milieu défensif de haut niveau, dur sur l’homme, capable de récupérer les ballons par dizaines.
Une mentalité qu’il résume comme suit : « J’ai horreur de perdre ! Je n’aime pas ceux qui viennent juste comme ça. Il faut tout donner ! Moi, sur le terrain, je ne donne pas ma part au chien ! »
Un profil précieux dans une équipe alors régulièrement à la lutte pour le maintien, qui lui vaut le surnom de « sonneur de charges ». Une reconnaissance au goût de consécration pour le Gabonais, à une époque où les joueurs africains ne sont pas légion en Europe.
Dans l’Histoire avec le Gabon
Alors qu’il commence à percer à Laval, sa réussite attire l’œil du sélectionneur des Panthères, qui lui offre sa première cape en 1985, à l’âge de 20 ans.
Le début d’une longue histoire d’amour avec l’Azingo, dont Aubame sera le fer de lance au gré de ses 82 sélections.
Son plus grand moment sous le maillot national reste cette qualification épique pour la CAN 1994, la première de l’histoire du Gabon, aux dépens du grand Cameroun.
L’hystérie collective à Libreville retombera cependant lors du tournoi. Opposées au rutilant Nigeria, futur vainqueur de l’épreuve, les Panthères s’inclinent sur un score sans appel (3-0) au stade El-Menzah de Tunis, avant d’être giflés deux jours plus tard par l’Égypte (4-0).
La déception est immense, mais la leçon utile.
Deux ans plus tard, Aubame, alors âgé de 31 ans, fait figure de chef de clan au sein d’un groupe rajeuni, dont il est l’emblématique capitaine. « Je ne sais pas ce que les gens ont, mais dès que j’arrive dans un vestiaire, ils veulent que je sois capitaine ! ironise-t-il. Dans le vestiaire, j’anime, je suis un boute-en-train et je suis aussi un guerrier. J’ai toujours été comme ça, même dans la vie de tous les jours. »
Sous son commandement, le Gabon surprend la RDC (2-0) et file en quarst de finale contre la Tunisie. Irrespirable, le choc accouchera d’un match nul 1-1 et d’une séance de tirs aux buts, lors de laquelle le Gabon sera éliminé, au bout du suspense.
Une blessure intrigante
En six saisons chez les Tangos (Laval), Aubame disputera 131 matchs et marquera cinq buts.
Mais cette longévité aurait pu être mise à mal à la fin des années 1980, lorsque le joueur semble frappé par un mal mystérieux, qui l’empêche de marcher pendant de longs mois.
C’est Frank Lebœuf, son coéquipier en charnière, qui raconte cette anecdote intrigante sur le plateau de SFR Sport : « Quand je suis arrivé, il était blessé depuis plusieurs mois.
Il m’a raconté qu’il courait autour du stade et que soudain, ses jambes l’avaient abandonné. Il en était arrivé à un point où il ne pouvait plus marcher, ni même conduire. Il allait voir des médecins à Paris, mais personne ne trouvait ce qu’il avait. Il pensait sérieusement qu’il avait été marabouté. »
La suite semble assez folklorique : « À un moment, il est allé en Afrique, dans une piscine se battre avec des rochers pour se soigner ou je ne sais pas quoi, bref c’était intense (sic). » Au moment où tout semble perdu, le joueur se décide finalement à aller voir un rebouteux que Lebœuf va lui aussi consulter pour un problème de ménisque interne.
« Pierre, il était presque en chaise roulante. Le mec, il lui a touché les jambes, en mode j’enlève le mal, je fais circuler les énergies, et à un moment, il lui dit : “Et maintenant, va marcher, va courir”. Pierre est parti, il est revenu deux heures après. Il n’avait pas arrêté de courir. Il n’a jamais su comment ni pourquoi, mais il était guéri. » Lebœuf, lui, échappe à l’opération. « C’était un truc de fou. Ce gars-là, au début j’ai cru que c’était une fève, mais en vérité il était extraordinaire. »
Exodes exotiques
Après son départ de Laval, Pierre Aubame continue de faire l’ascenseur entre la D1 et la D2 au Havre, puis à Toulouse, où il laissera le souvenir d’un homme de vestiaire très respecté.
Ennuyé par ce mouvement de balancier, il plaque tout à l’été 1995 et connaît une première expérience à l’étranger, dans son pays natal, en s’engageant avec le FC105 Libreville.
Attendu par tout un peuple, le retour du fils prodigue tourne cependant court. Aubame joue quelques matchs de Coupe du Gabon, le seul titre à son palmarès, avant de s’envoler à nouveau en décembre de la même année pour la Colombie.
En Amérique du Sud, Aubame atterrit chez le champion en titre, le Corporacion Popular Deportiva Junior et découvre avec plaisir la ferveur de la Copa Libertadores, dont il atteint les quarts de finale avant d’échouer à une décevante huitième place du championnat.
De quoi lui donner des envies d’ailleurs ? Difficile à dire.
Toujours est-t-il qu’en décembre 1996, il continue son tour du monde express et pose son balluchon en Italie pour signer un contrat en faveur de l’US Triestina, en Serie B. Il y jouera 18 matchs avant de rentrer en France, auréolé d’un joli tour du monde.
Traversée du désert
À l’été 1997, Aubame accepte la proposition de l’OGC Nice, alors en Ligue 2. Décevante, la saison se soldera par une quatorzième place en championnat et un triple changement de coach.
Sur un plan plus personnel, Aubame réussit néanmoins son retour en disputant 29 matchs et en goûtant pour la première fois de sa carrière à la coupe d’Europe.
Il n’est cependant pas conservé à l’orée de la saison 1998-1999 et entame dès lors une longue traversée du désert, qui durera trois années.
Un passage à vide dont se souvient avec émotion son fils Pierre-Emerick, dans un entretien au Point Afrique : « Mon père vient de très loin. Je sais ce qu’il a enduré depuis tout petit. Il est comme mon meilleur pote, et je respecte infiniment l’homme qu’il est. Je l’ai vu travailler seul pendant des mois avant de signer dans son dernier club, à Rouen, en 2001. Il m’a expliqué qu’il a toujours avancé comme ça. J’ai pris ça de lui, parmi mes traits de caractère. »
Terriblement frustrante, l’attente sera néanmoins fructueuse puisque l’international gabonais participe à la très belle saison du club normand en CFA, qu’il réussit à faire remonter en National grâce à une belle seconde place en championnat. Une épopée qui lui permet de prendre sa retraite avec le sentiment du devoir accompli.
Reconversion(s)
Après l’arrêt de sa carrière, Aubame travaille un temps pour l’AC Milan où il occupe le poste de superviseur et dénicheur de talents, avec une réussite certaine.
Au cours de l’été 2006, c’est lui qui convainc Silvio Berlusconi de recruter Yoann Gourcuff, alors grand espoir du stade rennais.
Cependant, à mesure que ses deux fils Pierre-Emerick et Willy arrivent à maturité, il décide de s’engager auprès d’eux, d’abord en tant que coach personnel, puis en tant qu’agent de joueur.
Une priorité clairement établie, qui lui fera notamment quitter son poste d’entraîneur de l’équipe nationale espoir du Gabon en 2013 afin de défendre les intérêts de Pierre-Emerick au plus près.
« Je considère que j’ai réussi à mettre mon fils là où il faut, c’est à dire au plus haut niveau, estimait-t-il récemment. Je peux désormais commencer à respirer. Je suis toujours avec lui à Dortmund, mais je me considère plus libre. »
Depuis décembre, l’ancien milieu défensif foule à nouveau les terrains, chez les vétérans du Paris FC, au poste d’attaquant. Les restes sont beaux, à en juger par ses débuts fracassants : 17 buts en 6 matchs.
« Depuis que j’ai arrêté ma carrière, j’ai vraiment retrouvé l’instinct du buteur. Quand je décide d’accélérer, il n’y a personne », savoure-t-il sur le site internet du club.
De quoi avoir des regrets ? « Plus jeune, il aurait fallu qu’on me laisse tranquille au poste d’attaquant, j’aurais passé les paliers, comme l’a fait Pierre-Emerick. Mais je ne regrette pas, car je me dis que si j’avais réussi comme lui, peut-être qu’il ne serait pas en train de faire ce qu’il fait aujourd’hui. »
CG