La Ligue 2 est un championnat qui recèle de nombreux talents. Chaque année, plusieurs pépites franchissent le cap et brillent dans l'élite. Tous les mois, Onze Mondial part à la découverte de ces cracks de l'ombre. Revenu au Paris FC en 2017 après des passages à Épinal et Béziers, Samuel Yohou (27 ans/Défenseur) s’est imposé dans son club formateur. Titulaire au sein de la meilleure défense de L2, l’enfant du PFC retrace son parcours.
Enfance
Comment s'est déroulée ton enfance ?
J’ai grandi dans le quartier de Saint-Blaise, dans le 20ème arrondissement de Paris avec mes parents. Je suis issue d’une famille de six enfants. J’ai connu une enfance tranquille.
Quel type de garçon étais-tu ?
J’étais un garçon bien élevé. Je n’étais pas influençable. Au contraire, j’ai toujours été un leader. Je n’ai jamais suivi. Je ne faisais pas trop de bêtises et j’allais en cours. Bon, j’avoue que je parlais beaucoup en classe.
Tu as été jusqu’où à l’école ?
J’ai arrêté l’école lorsque j’ai signé à Strasbourg, à 18 ans. J’étais sur le point de passer mon Bac pro Comptabilité. Quand je suis arrivé au Racing, j’avais entraînement le matin alors qu’au Paris FC, c’était le soir. Il fallait faire un choix… Mais voilà, j’ai stoppé les cours pour une bonne raison.
Tu as connu ton premier centre de formation sur le tard. N’était-ce pas une déception ?
Si, c’était une grosse déception même. Surtout plus jeune. Je vivais mal cet échec. En région parisienne, beaucoup de recruteurs se déplacent sur les matchs. Au Paris FC, j’évoluais au sein d’une bonne équipe, du coup, j’étais très sollicité. J’ai pu faire de nombreux essais à Monaco, Auxerre, Toulouse et j’en passe. Ça s’est souvent mal passé donc ça n’a pas été facile pour moi. Il fallait garder les pieds sur terre et surtout ne pas s’égarer et commencer à faire des conneries, à traîner dehors ou à dealer… Ce n’était pas facile, mais à force d’abnégation et de travail, j’ai réussi à signer à Strasbourg à l’âge de 18 ans. D’autres clubs comme Fribourg et Châteauroux étaient également intéressés. Finalement, j’ai opté pour le Racing et ça m’a bien aidé dans ma progression. Cette aventure m’a lancé dans le professionnalisme.
Tu étais souvent recalé parce que tu n’avais pas le niveau ?
Non, non, non, ce n’était vraiment pas une question de niveau. Sans me vanter, de ma génération 91/92, je faisais partie des bons joueurs de la région parisienne. Par exemple, j’étais tout le temps appelé en sélection régionale et départementale. J’ai notamment évolué avec Cédric Bakambu en sélection du Val-de-Marne et seuls les meilleurs étaient sélectionnés. Ce n’était pas une question de qualité. C’est juste mon profil qui ne correspondait pas. À l’époque, je jouais parfois attaquant, parfois milieu de terrain, je n’avais pas encore trouvé mon poste. Si j’avais été défenseur dès le départ, je n’aurais pas eu les mêmes difficultés.
On peut aussi dire que c’est ta force d’avoir connu un centre de formation aussi tard…
Oui, moi, je considère ça comme une force. Je me répétais toujours : « Pourquoi les autres et pas moi ? ». J’ai côtoyé un mec comme Mamadou Sakho qui évoluait à 16 ans avec les pros au PSG. Un mec comme Sakho, je le prenais comme exemple. Et dès qu’il revenait le week-end, à la porte de Montreuil, on échangeait bien, il me donnait de bons conseils. Je n’ai pas lâché et aujourd’hui, je suis footballeur professionnel.
Comment fait-on pour ne pas baisser les bras ?
C’est une bonne question. Il faut toujours croire en soi. Il faut se dire que Dieu nous a donné des qualités et ce n’est pas pour les gâcher à faire des bêtises dans la rue. Il faut continuer à travailler, ne pas lâcher.
Comment éviter de se retrouver dans la rue ?
Il faut avoir une bonne éducation et rencontrer les bonnes personnes. Si tu as un bon grand frère et de bons gars autour de toi qui t’aident et te conseillent, tu ne peux pas faire n’importe quoi. Surtout, il ne faut pas être influençable. Il faut garder en tête l’espoir qu’un jour, tu réussiras et tu pourras aider ta famille.
Tu évolues au Paris FC depuis ton plus jeune âge. Quels sont tes meilleurs souvenirs ?
Les parcours en Gambardella ! C’est grâce à ces parcours que tout le monde s’est rendu compte qu’il y avait du potentiel chez les jeunes au Paris FC. On a participé à deux quarts de finale alors qu’on était en DH. C’était de beaux exploits. L’expérience d’affronter des centres de formation était très enrichissante. Durant cette période-là, je me suis rendu compte de beaucoup de choses. Quand je jouais les matchs, les adversaires, je voulais les crever (rires) ! J’avais trop la dalle. Eux étaient dans un centre de formation et moi j’étais encore à la maison. Je disais : « Pourquoi eux et pas moi ? ». Les clubs comme Nantes, Rennes, Auxerre savaient très bien que lorsqu’ils venaient à la Porte de Montreuil, ça allait être très chaud pour eux.
‘‘J’entraînais la génération 95 composée de joueurs comme Raphaël Diarra (Quevilly-Rouen), Seko Fofana (Udinesse) et Wylan Cyprien (OGC Nice)’’
Tu n’as jamais pensé à arrêter le foot ?
J’ai arrêté le foot au moins quatre fois (rires). Par exemple, à 13 ans, je ne suis pas rentré à Clairefontaine. Après ça, j’ai craqué. Les coachs demandaient à tout le monde : « Mais où est Sam ? ». Les autres répondaient : « Il joue au basket ». C’était ça ma force. L’échec me faisait tellement mal que je prenais un ou deux mois pour faire un break et m’aérer l’esprit. J’avais besoin de voir autre chose. Mes amis m’aidaient à penser autre chose. Je ne voyais pas le foot comme une fin en soi. Du coup, je profitais de mon adolescence, je découvrais de nouvelles choses et je m’amusais. Dans ma tête, je savais qu’il y avait le foot, mais je profitais quand même. C’est sûrement ça qui m’a permis de ne pas être écœuré et donc de lâcher. Grâce à tout ça, j’arrivais à extérioriser les choses. Voilà ma force.
Quand ça n’allait pas, je faisais autre chose que du foot en attendant que l’envie revienne. Exemple, j’ai stoppé le foot quand j’avais 15 ans pour devenir entraîneur adjoint. J’entraînais la génération 95 composée de joueurs comme Raphaël Diarra (Quevilly-Rouen), Seko Fofana (Udinesse) et Wylan Cyprien (OGC Nice). J’ai aussi arrêté après le dépôt de bilan de Strasbourg. Du coup, je suis devenu serveur dans un salon de thé. Après, j’ai repris en équipe 3 au Paris FC. C’était comme une punition pour moi. Je venais de jouer le tournoi de Toulon avec la Côte d’Ivoire et d’affronter des joueurs comme James Rodriguez et ils m’ont envoyé en PH. Le club voulait que je reparte de zéro.
Samuel Yohou avec la Côte d'Ivoire lors du Tournoi des moins de 21 ans de Toulon le 1er juin 2011. Il avait 20 ans.
"Italie - Côte d'Ivoire" au stade Felix Mayol le 1er juin 2011 à Toulon. Yohou au duel!
Ensuite je suis monté en réserve une première année avec Hakim Hammouche. Puis une nouvelle année avec Abess Osfane. Et cette saison-là, le club m’a offert un CAE, contrat aidé par l’état. Et je suis devenu standardiste au club. J’avais des horaires aménagés pour m’entraîner le matin et travailler l’après-midi. J’étais l’homme à tout faire. Je répondais au téléphone, je déposais les colis, je faisais de la paperasse, je dépannais un peu partout. Cette période m’a beaucoup aidé. Grâce à ça, j’ai pu prendre un appartement avec ma femme et entrer dans la vie active. Même si je n’étais pas beaucoup payé, je pouvais vivre du football. Je n’avais pas à courir à gauche, à droite. Grâce à ça, j’étais bien concentré sur le foot.
Et derrière, tu as pu signer ton premier contrat professionnel ?
Exactement. Le club m’a fait signer mon premier contrat professionnel suite à la montée en Ligue 2. J’avais 23 ans. De toute façon, c’était clair pour moi. Dans ma tête, j’étais en mode : « Si à 23 ans, je n’ai pas signé pro, j’arrête ». Six mois après la signature de mon premier contrat pro, j’ai demandé à être prêté. J’ai signé à Épinal avec Xavier Collin, un ancien joueur professionnel. Je n’avais pas le choix, je devais tenter ce pari pour montrer ma valeur. J’ai fait une demi-saison pleine. Je me suis aguerri. Et j’ai pu montrer que j’avais le niveau pour jouer en Ligue2/National. En juin, j’ai signé à Béziers. Je suis passé de la neige au soleil (rires). J’ai fait une bonne saison avec Mathieu Chabert. On proposait du bon football. Je suis ensuite retourné au PFC.
Pourquoi avoir accepté de revenir au Paris FC ?
J’avais à cœur de montrer que je pouvais m’imposer au Paris FC, mais pas seulement. Ma femme était enceinte. Elle avait passé toute sa grossesse seule à Paris. Elle était responsable commerciale dans une bonne boîte et moi, j’allais à Béziers pour un contrat d’un an. Du coup, je lui ai dit : « Reste à Paris, c’est mieux pour nous ». Même si c’était difficile, on était obligés de procéder comme ça. Finalement, le PFC est arrivé et j’ai pu revenir au côté de ma femme. Mais ce n’était pas gagné, au départ, je voulais rester à Béziers. Finalement, mon entourage m’a convaincu de revenir. Le Paris FC, c’est mon club, c’est ma ville, j’ai tout ici.
Que penses-tu du Paris FC aujourd’hui ?
Je suis agréablement surpris. Les dirigeants ont réalisé un travail de longue haleine pour remettre le club sur de bons rails. On est parti d’un club sans véritable terrain ni moyens à un club structuré avec un centre de formation et des sponsors. Par exemple, à l’époque, s’il y avait eu un centre de formation, je ne serais pas parti à Strasbourg, je serais resté ici. Grâce à la montée en Ligue 2, plein de choses ont pu être créées. Le club commence à prendre une autre dimension. Ils misent sur les jeunes, ils proposent des contrats stagiaire-pro. La mayonnaise commence à prendre. Dans les années à venir, de nombreux jeunes du club composeront l’équipe première.
Tu enchaînes les matchs depuis le début de saison, comment te sens-tu ?
Je me sens bien. On commence à être une bonne équipe de Ligue 2. Les autres équipes nous respectent. La Ligue 2 est un championnat difficile, mais ça va, on arrive à bien aborder nos matchs. Au niveau du classement, on tient la route donc tant mieux. Personnellement, j’enchaîne les matchs. Peu importe l’équipe en face, peu importe l’attaquant, je me défonce pour mon club.
Tu n’as pas été tenté de partir cet été ?
J’étais en fin de contrat. Comme lors de tous les mercatos, j’ai étudié les offres. Il est vrai que j’ai reçu deux/trois offres intéressantes. Pierre Dréossi a su me garder. Je pense que j’ai fait le bon choix. Et puis, je ne pouvais pas partir au bout d’une saison de Ligue 2. Je n’avais pas encore assez d’expérience. Je voulais confirmer dans mon club. Je voulais montrer qui était le vrai Samuel Yohou et que j’avais le niveau pour la Ligue 2 et même au-dessus.
Comment ça se passe avec le coach ?
L’an dernier, c’était Fabien Mercadal. Cette année, on a Mécha Baždarevi? et son staff. Tout se passe bien même si au départ, je n’ai pas joué. Il a un style de management différent de celui de Mercadal. C’est un coach qui prend du recul et observe beaucoup. Il n’intervient pas beaucoup mais lorsqu’il parle, c’est pour des choses bien précises. Il demande beaucoup de rigueur et de sérieux à ses joueurs. Pour un groupe jeune comme le nôtre, c’est ce qu’il nous faut. Il a ramené une véritable patte. Tout se passe bien.
Style de jeu
Tu te définis comme quel type de joueur ?
Je suis un défenseur bon dans les duels et bon à la relance. Je ne me mets pas seulement dans une case. Je suis bon de la tête, je suis rapide, je n’ai pas la charrette, je relance bien du droit et du gauche. Je peux jouer axe-droit comme axe-gauche. Aux entraînements, je ne reste pas qu’avec les défenseurs. Parfois, je vais passer du temps avec les milieux de terrain puis avec les attaquants pour comprendre leurs déplacements et leur toucher de balle. J’aime regarder ce que font les autres pour progresser. Le duel reste ma force première.
Tu dois améliorer quoi dans ton jeu ?
Le jeu long de mon mauvais pied et la maîtrise de soi. Je dois prendre moins de cartons et commettre moins de fautes. Et mieux réussir à garder mon sang froid dans les derniers instants des matchs. Cette année, on a fait un vrai travail sur ça. Preuve en est, on est la meilleure défense du championnat.
Qui sont les défenseurs que tu aimes regarder ?
En ce moment, je kiffe Clément Lenglet. Il ne paie pas de mine mais qu’est-ce qu’il est fort ! Il anticipe tout. Dès que l’attaquant se retourne, il est déjà là. Il est super intelligent. Il défend avec son cerveau. J’aime regarder ce type de défenseur. Moi, je suis grand de taille donc je n’aime pas regarder les grands. Ils ne vont rien m’apporter. Dans ce style, j’aime beaucoup Marquinhos. Sinon, la référence, c’est Bonucci.
Comment es-tu devenu défenseur central ?
C’était lors de ma deuxième année en 18 ans avant d’affronter Nantes en Gambardella. Nantes avait un Chinois en attaque. Notre coach de l’époque m’avait marqué des insultes en chinois sur un bout de papier. Il m’avait dit : « Tu vas lui répéter ça tout le match comme ça, tu vas le perturber ». Du coup, pendant toute la semaine, je répétais des insultes en chinois (rires). Comme il fallait être costaud derrière, le coach m’a repositionné.
Conclusion
Tu as des rêves ?
Bien sûr ! Je rêve tout le temps, je suis encore un gamin moi. Je rêve de jouer la CAN avec mon pays.
Les dirigeants ivoiriens te regardent ?
Je ne sais pas. Mais je pense qu’ils observent les joueurs de Ligue 2 quand même.
Comment imagines-tu la suite de ta carrière ?
Je suis sous contrat avec le Paris FC jusqu’en 2020. J’essaie de rattraper le temps perdu et de jouer un maximum de matchs en Ligue 2 pour aller plus haut un jour. Pourquoi ne pas évoluer en Ligue 1 avec le Paris FC ?
De nombreux joueurs que tu connais évoluent en Ligue 1, ça doit te donner envie non ?
Bien sûr. Notre capitaine, Hervé Lybohy, a signé à Nîmes cet été. C’est vraiment un exemple pour moi. Il me donne de bons conseils. J’échange beaucoup avec Kenny Lala et Karl Toko-Ekambi que je connais bien. Ce sont des exemples.
Qu’aurais-tu fait si tu n'avais pas été footballeur ?
Je ne sais pas parce que je n’étais pas bon dans le travail. Regarde, j’ai bossé à La Poste mais je perdais des lettres (rires). J’ai travaillé comme préparateur en pharmacie chez Alliance-Santé, je faisais des mauvaises commandes. J’envoyais des 1000 dolipranes au lieu d’en envoyer 100 (rires). Quand j’étais serveur, je me trompais dans les commandes… donc franchement, je ne sais pas ce que j’aurais fait. J’aurais peut-être fini coach parce que j’aime bien transmettre mon savoir aux plus jeunes pour leur éviter de faire des conneries. Sinon j’aurais fait animateur. Je me serais occupé des jeunes.
Si tu devais finir l’interview par une phrase qui te représente ?
« Peu importe le travail que tu fais, il faut te donner les moyens de réussir ». Vu mon passé, c’est vraiment une petite victoire pour moi de me retrouver où je suis.
Tu te mets quelle note pour cette interview ?
Je me mets 6 sur 10.
Interview réalisée Rafik Youcef pour ONZE Mondial
Parue le 15 mars 2019
Titre adapté par la rédaction