‘‘J'aurais aimé jouer en sélection’’, déplorait Roméo Seka, l’homme qui faisait ranger ses chaussures par Gervinho

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‘‘J'aurais aimé jouer en sélection’’, déplorait Roméo Seka, l’homme qui faisait ranger ses chaussures par Gervinho

‘‘J'aurais aimé jouer en sélection’’, déplorait Roméo Seka, l’homme qui faisait ranger ses chaussures par Gervinho

Issu de la seconde génération de l’Académie MimoSifcom façonnée par Jean-Marc Guillou, l’ancien milieu de terrain aujourd’hui âgé de 36 ans a accordé une interview à RTB il y a de cela 5 ans dans laquelle il relatait tout son parcours footballistique lui qui a arrêté en 2017 avec le club de RUS Beloil en Belgique.


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Bio express :

  • Roméo Affessi Seka : 31 ans. Né le 19/02/1984
  • Poste : milieu offensif
  • Signes distinctifs : il séchait les cours de Néerlandais
  • Particularités : Gervinho rangeait ses chaussures

 

Quel est le point de départ de votre histoire avec le football ?

 

Ça date de 1995 en Côte d’Ivoire. J’avais une dizaine d’années et j’ai débuté le football dans les rues avec mes amis du quartier. On commençait tôt le matin, on choisissait un endroit… Un coin de rue ou un terrain et on improvisait des buts avec des bouts de bois ou des pierres… Et on faisait des 5 contre 5.

 

Et l’Académie Jean-Marc Guillou arrive tout de suite après ?

 

Il faut savoir que JMG avait conclu un partenariat avec l’ASEC Mimosas (l’un des plus grands clubs ivoiriens, Ndlr). Le club prêtait ses installations et le deal était clair. La première affiliation en équipe première se faisait à l’ASEC et en cas de revente c’était 50-50.

Il y avait de belles perspectives d’avenir et mon grand frère (fan de l’ASEC) voulait que j’y passe des tests mais ça ne m’intéressait pas du tout (rires)! Je voulais juste jouer des tournois de quartier. Tu sais, j’étais assez bon et je m’étais fait un petit nom… Du coup, après une demi-finale dans un quartier, des dirigeants d’une autre équipe venaient me chercher en voiture pour aller disputer une finale ailleurs, et ainsi de suite…

 

Et la suite ?

 

Sous l’impulsion de mon oncle et de mon frère, je participe à la journée de détection mais je n’étais pas très motivé… Alors, mon frère m’a passé un savon (sic) et l’après-midi, j’ai tapé dans l’œil de Jean-Marc Guillou qui m’a invité à revenir le mardi suivant… Sauf que je n’y suis pas allé, j’ai préféré jouer un tournoi de quartier !

 

Quel entêtement !

 

Oui mais Jean Marc Guillou m’a laissé une autre chance. J’ai pu revenir le lendemain et là il m’a directement fait jouer avec les gars de la 1ere génération qui étaient déjà installés à l’Académie… Des jeunes qui s’appellent Romaric ou Kolo Touré. Mon test dure 1 mois et chaque jour je voyais défiler des centaines de jeunes ! Au final, JMG en choisit 6 et j’en fais partie au même titre qu’Arthur Boka.

 

C’est comme ça qu’est née la 2eme génération d’académiciens ?

 

Oui. Et avec du recul, je peux t’affirmer que c’est la plus belle période de ma vie. On ne vivait que pour le football. Je dormais à l’Internat et on jonglait entre les cours et le football.

 

Les méthodes de Guillou sont-elles déjà particulières et innovantes ?

 

En fait, il y avait 3 degrés techniques. A la base, on n’avait ni maillot, ni chaussures. Une fois le niveau 1 atteint, on te refilait des baskets et un maillot à ton nom. Au 2eme degré, tu recevais les chaussures de foot, etc… Jean-Marc disait qu’il fallait maitriser les 3 degrés pour atteindre une technique parfaite. On jonglait de la tête, des épaules, du genou… Le but c’était de savoir utiliser toutes les parties de ton corps avec un ballon. C’était très dur mais très fun aussi. J’ai adoré.

 

Qu’as-tu appris d’autre à l’académie ?

 

J’ai beaucoup appris à l’école et j’ai surtout appris à devenir un homme. On n’a pas fait que taper dans un ballon : Nous avons étudié le football, sa technique. On appelait ça des cours de "technologie". Qu’est-ce qu’une frappe ? Une frappe courte, enroulée ? Qu’est-ce que la qualité tactique, physique ? Nous dissertions là-dessus pendant des heures. Guillou nous a appris le football en mêlant théorie et pratique. C’était sa force.

 

seka

 

Et cela a fini par payer…

 

Tu sais que la 1ere génération (composée de Dindane, Kolo, Yapi Yapo, Zezeto, Zokora…) était tellement brillante qu’elle battait systématiquement en amical l’équipe première de l’ASEC. D’ailleurs, une année en Super Coupe d’Afrique, ce sont les gamins de l’Académie qui ont joué contre l’Espérance de Tunis et ils leur ont mis la pâtée (rires).

 

Comment est née l’histoire des Ivoiriens de Beveren ?

 

A la suite d’un litige entre l’ASEC et Guillou. Les dirigeants de l’ASEC ont vendu Aruna à Anderlecht et Zokora à Genk et n’ont pas partagé les gains avec JMG. C’est ça le début de l’histoire, une querelle d’argent !

 

Il fallait un nouveau club partenaire et ce fut Beveren…

 

Exact. D’ailleurs, la première que j’y suis venu j’avais 14 ou 15 ans c’était pour un stage de 1 semaine et je me souviens qu’on avait battu la réserve de Beveren 6-1. Ça les a convaincus (il rit).

 

Comment vous définiriez votre rapport avec Guillou ?

 

Tu sais j’ai grandi sans mon père et Jean-Marc, c’était en quelque sorte un père de substitution. Il était plus qu’un coach, on avait confiance en lui à 100%. On ne regardait pas les documents, on signait tout les yeux fermés ! Il ne nous a pas seulement formés, il nous a éduqués, soignés, nourris. Il était là quand on avait des problèmes. Je sais que des gens vont dire qu’on était mal payés, utilisés voire exploités MAIS on s’en foutait (sic) ! Il nous a promis des choses et il les a accomplies, c’est le plus important à mes yeux. C’est un homme de parole.

 

Nous, académiciens, étions la fierté de la Côte d’Ivoire à tel point que lorsque nous avons voulu quitter le pays. La police voulait nous empêcher de prendre l’avion en bloquant nos passeports. Ça a été une sacrée affaire !

 

Aviez-vous une pression particulière de la part de votre famille ? Fallait-il que vous réussissiez à tout prix ?

 

Après le départ de mon père, ma mère a du tout assumer toute seule. Et moi, une fois que j’ai gagné de l’argent, j’étais fier de pouvoir faciliter la vie de ma famille. Quand je jouais en équipe nationale chez les jeunes, ma mère était fière de lire et de garder les articles de presse qui me concernaient.

 

On en vient à votre arrivée en Belgique pour intégrer Beveren… ça se passe comment les débuts ?

 

(Il rit) On était à 2 dans un appartement mais personne ne savait cuisiner donc on appelait nos mères en Afrique, on branchait le haut-parleur pour qu’elles nous aident à cuisiner…

 

C’était donc ça, le secret de vos notes de téléphone…

 

Oui. On ne savait pas qu’il valait mieux acheter des cartes pour téléphoner en Côte d’Ivoire…

 

C’était dur de vivre en Belgique ?

 

Au début, j’étais un peu nostalgique. Ma famille me manquait mais on était là pour jouer au football et ça, ça nous faisait oublier nos peines.

 

Vous avez appris le Néerlandais ?

 

Pendant 2 ou 3 semaines… C’était en hiver et nos cours se déroulaient entre 2 entraînement et moi j’étais fatigué et j’avais froid… Oh la la… Je me souviens qu’à l’entrainement je mettais une grosse veste, un training et une combinaison de plongée pour lutter contre le froid. Du coup, tu penses bien que le Néerlandais… Je brossais les cours en me réfugiant dans les toilettes (sic).

 

A l’époque, certains vous critiquaient de manière assez virulente… Une équipe avec 9 ou 10 ivoiriens, ça ne plaisait pas à tout le monde…

 

La chance que j’ai eu c’est que les premiers académiciens avaient servi, en quelque sorte, de pionniers… Donc les gens s’étaient habitués à nous voir, nous croiser. Quand on gagnait tout allait bien, par contre, il y a certains moments plus compliqués. Je me souviens d’un match qu’on avait perdu où les Belges de l’équipe avaient pu quitter le stade mais pas nous. Certains ultras voulaient nous frapper et la police a dû nous escorter. Il y a eu quelques épisodes de racisme aussi mais dans l’ensemble tout se passait bien. Certains fans flamands s’identifiaient à nous, parlaient comme nous ou voulaient découvrir la Côte d’Ivoire. Et puis, n’oublions pas que Jean-Marc Guillou a sauvé le club de la faillite. On prônait un football chatoyant, imprévisible… Les équipes nous craignaient... On a atteint une finale de Coupe de Belgique et jouer en Coupe d’Europe, c’était inespéré pour un club du calibre de Beveren.

 

Justement lors de cette fameuse épopée en Coupe de Belgique, vous sortez Anderlecht en demi (0-0 à Beveren 1-1 au RSCA) …

 

Je n’oublierai jamais le match retour, mon 3 ou 4eme pour Beveren. En 2eme, Dindane nous a mis la misère mais a raté beaucoup d’occasions. On a fait la fête pendant des jours…

 

dindane

 

En finale, Bruges est trop fort mais l’accession à la ligue des Champions des Brugeois vous offre une place en Europa Ligue…

 

Même si on a pris des raclées, je peux dire que j’ai affronté Benfica ou Stuttgart… Des souvenirs inoubliables. Tu imagines que maintenant je dois me motiver pour jouer à Eppegem ou Averbode (rires). Mais malgré tout, je prends du plaisir mais différent. Ça reste du football et moi, j’aime ce jeu.

 

C’était difficile de quitter Beveren ?

 

Je m’étais illustré en Coupe d’Europe et Roda voulait me transférer mais je ne l’ai su qu’un an ou 2 plus tard. Guillou ne me l’avait pas dit (rires). Lui, il voulait bâtir un grand club et ensuite revendre les joueurs. Mais franchement, sur le moment je m’en fichais parce que j’étais bien à Beveren.

 

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L’aventure a une fin lorsque Beveren descend en Division 2 et vous signez à Mons ?

 

Venir à Mons a été la plus grande erreur de ma carrière ! Le Président Leone me voulait mais pas son entraineur de l’époque José Riga. Le coach, il avait déjà son entrejeu (Cordaro, Dalmat, Brahami,). Dalmat pouvait faire dix mauvais matches, il jouait. Dès le 1er jour, Riga m’a dit qu’il ne comptait pas sur moi. Mais je ne lui en veux pas, il a fait ses choix. Et puis il y avait des clans dans l’équipe… C’était un vestiaire particulier où j’avais quand même des amis comme Roussel, Lukunku ou Zoko mais je me souviens aussi d’une grosse bagarre avec Momo Dahmane…

 

Votre temps de jeu est famélique et quelques mois plus tard arrive cette blessure au genou

 

Le même genou qu’à Beveren… Je ne joue pas beaucoup et là, je me blesse ! Et en plus, le club veut casser mon contrat… Ce que j’ai refusé. Ensuite, Albert Cartier est nommé entraineur… Il me fait confiance, me parle beaucoup. Donc, je reviens dans le coup et on se sauve. Mais au bout de la 2eme année, je quitte ce club qui m’a brisé. J’étais dégoûté.

 

Difficile de ne plus être entouré comme à l’Académie ou à Beveren…

 

C’est exactement ça. J’ai compris pourquoi Jean-Marc Guillou ne voulait pas qu’on parte trop tôt. Tous les joueurs, qui n’étaient pas prêts et qui sont partis, n’ont pas réussi. Le football c’est du mental avant les qualités techniques. J’étais capable du meilleur comme du pire… Tout dépendait de ma confiance et à Mons, je ne l’ai jamais trouvée.

 

Après Mons, vous tirez un trait sur le football qui compte…

 

Je suis parti 6 mois en Slovénie avant de signer à Feignies en CFA, cela me permettait de me rapprocher de ma femme enceinte restée à Mons. J’ai refusé des offres de Chine, de Turquie ou des Etats-Unis pour privilégier ma famille. J’ai grandi sans père et je ne voulais pas que ma fille grandisse loin de son papa. Et puis, j’étais aussi dégoûté par le milieu.

 

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Depuis… Vous enchainez les petits clubs : Saint Vaast, Evere et maintenant Schaerbeek en 1ère provinciale Brabant

 

Il n’est pas toujours évident de prendre la voiture et de faire 80 km pour aller s’entrainer mais je suis content de ma vie. Et puis j’attise un peu la curiosité des supporters et des jeunes joueurs. J’aime parler aux plus jeunes, leur donner des conseils. Parce qu’une carrière ça ne tient à rien : une blessure, un mauvais choix et t’es fini ! Pour ça, je dis chapeau au Standard d’avoir tendu la main à Legear. Il fallait oser lui donner une deuxième chance. Moi, je n’en ai pas eu.

 

Nourrissez-vous des regrets sur votre carrière ?

 

Bien sûr mais j’aime ma vie actuelle. J’ai une femme et 2 enfants qui remplissent de bonheur. C’est clair que quand je vois Yaya Touré, Romaric mon meilleur ami ou Gervinho, je peux nourrir des regrets. Tu t’imagines que quand Gervinho est arrivé à Beveren, c’était moi la "star" de l’équipe… Je lui disais Gervinho range mes chaussures, il le faisait (rires) et aujourd’hui, il joue à la Roma et gagne la Coupe d’Afrique. Mais quand on se voit au pays, il m’appelle grand frère.

 

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Vous avez réussi à mettre de l’argent de côté ?

 

Oui, financièrement je vis bien. J’ai investi dans l’immobilier, et dans la culture d’hévéa notamment en Côte d’Ivoire. Le seul truc qui me manque aujourd’hui, c’est de ne pas avoir joué avec mes frères en équipe nationale… Ce qui me fait mal c’est quand ma mère me dit : ‘‘j’aurais aimé m’asseoir devant ma télé et te voir mon fils avec le maillot de l’équipe nationale comme je vois tes amis !’’.

 

Que ferez-vous une fois les crampons raccrochés ?

 

Je pense que je vais retourner en Côte d’Ivoire d’ici 4 ou 5 ans pour m’occuper de mes affaires et peut-être créer avec un ami, un centre de formation. (Il réfléchit) Mais j’hésite parce qu’honnêtement, je suis fatigué du football… D’ailleurs, mon corps me le rappelle de temps en temps (rires). Ce serait d’ailleurs une bonne chose que l’on monte en Promotion sans passer par le tour final, mon corps ne le supporterait pas. (Rires).

 

Propos recueillis par Pascal Scimé

Publié le 27 février 2015

D'où provient l'info

  • Source : Avec RTBF
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  • Dernière mise à jour : Mar, 02 Jun 2020 à 12h 27
  • Contacter l'auteur : news@mondialsport.net

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